Les planètes de TRAPPIST-1 pesées et caractérisées avec une précision inédite
Une planète orbitant seule ou suffisamment loin de ses autres compagnons planétaires gravite autour de son étoile sur une orbite strictement périodique, dite Képlérienne, et son année a une durée fixe invariable. Ce n’est plus le cas si l’orbite est perturbée par la gravité d’autres corps. C’est ainsi qu’en 1846, Urbain Le Verrier parvint à prédire l’existence et la position de Neptune à partir des irrégularités de l’orbite d’Uranus. Les 7 planètes connues de la très petite étoile TRAPPIST-1 forment un cortège planétaire très compact et chaque planète voit son orbite légèrement perturbée par ses planètes voisines. Vues depuis la Terre, ces 7 planètes passent à chaque orbite devant le disque de leur étoile, produisant une baisse apparente de la luminosité qui permet de mesurer leur rayon. Les interactions gravitationnelles entre les planètes font que ces transits ne se produisent pas de façon strictement périodique mais avec une avance ou un retard pouvant atteindre plusieurs dizaines de minutes. On appelle le chronométrage de ces retards et avances des TTV (Transit Timing Variations). Ces écarts dépendent du détail des caractéristiques des orbites (distance ou période orbitale, excentricité, inclinaison des orbites entre elles) et bien entendu de la masse des planètes. Si nous connaissions parfaitement ces grandeurs, nous pourrions prédire tout aussi parfaitement le moment exact des transits. Mais le problème inverse consistant à caractériser les planètes et leurs orbites à partir du chronométrage des transits est autrement plus complexe…
En utilisant les centaines de transits mesurés avec les télescopes spatiaux Spitzer et K2 (respectivement et définitivement éteints en janvier 2020 et novembre 2018) et depuis des télescopes au sol, Eric Agol et son équipe internationale viennent de publier (https://arxiv.org/abs/2010.01074) un travail sans précédent de détermination des masses, rayons et paramètres orbitaux du système. Le principe consiste à simuler le système avec un modèle à 8 corps en essayant à chaque simulation un jeu de masses et de paramètres orbitaux différent. On ne conserve que les simulations compatibles avec les observations, qui contraignent ainsi ces paramètres. Mais cela fait beaucoup de paramètres indépendants et cette méthode pourrait prendre un temps considérable même sur de puissants ordinateurs ; il a donc fallu imaginer des méthodes statistiques beaucoup plus malignes, et inédites, pour explorer cet espace des paramètres.
Dans des solutions compatibles, les effets de relativité générale (responsables dans le système solaire d’un phénomène appelé l’avance de périhélie de Mercure) et les effets de marées ont également été introduits pour vérifier qu’ils n’altéraient pas l’accord entre modèle et observations. Nous avons pu montrer par ailleurs que ces effets seront peut-être mesurables sur le long terme.
Pourrait-il y avoir d’autres planètes autour de TRAPPIST-1 ? Le système étant très compact, il n’y a pas de place entre les planètes mais il pourrait y avoir des planètes au-delà de la planète h (la plus externe) ou entre l’étoile et la planète b (la plus interne). Nous n’en voyons pas les transits mais elles pourraient être sur des orbites plus inclinées que les autres, ne croisant pas le disque de l’étoile. Dans ce cas, selon les masses et les orbites de ces planètes additionnelles, nous aurions pu nous trouver incapables de reproduire les variations de temps de transit du système. Mais ce n’est pas le cas. On pourrait également améliorer cet accord en ajoutant une planète mais ce n’est pas non plus ce qui se passe. Au final, s’il peut exister une planète extérieure, elle est trop peu massive ou trop loin pour perturber les planètes connues de façon détectable dans les données actuelles.
Finalement cette méthode nous a permis d’améliorer considérablement la précision sur les masses et les rayons des planètes et donc également les diagnostics sur leur composition. On voit que la densité des planètes est compatible avec une composition à peu près terrestre, légèrement moins dense. Cette densité plus faible peut s’expliquer de différentes façons : soit par une plus grande teneur en eau que la Terre (qui vaut un peu moins que 0.1% de sa masse), soit par une teneur moindre en fer. Nous pouvons mettre des limites supérieures sur la quantité d’eau : pour les planètes externes, à partir de la planète e, la teneur en eau ne peut dépasser 5–10% de la masse totale. Pour les planètes plus internes (b, c et d) où l’eau ne peut exister à l’état liquide et doit former une atmosphère, la contrainte est plus forte car le rayon apparent de la planète est très augmentée par une telle enveloppe de vapeur: ces planètes sont au moins 10% plus sèches que la Terre.
L’amélioration des éphémérides orbitales permet également de prévoir avec une précision accrue les transits à venir, notamment pour planifier et optimiser les observations avec le télescope spatial James Webb qui sera lancé l’an prochain. Avec celui-ci, nous pourrons tenter des observations de l’atmosphère de ces planètes (si elles en ont une) et poursuivre ainsi la caractérisation de ces 7 mondes.
Franck Selsis, Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux
Articles :
Refining the transit timing and photometric analysis of TRAPPIST-1: Masses, radii, densities, dynamics, and ephemerides, Eric Agol et al. The Planetary Science Journal.
On the impact of tides on the transit-timing fits to the TRAPPIST-1 system, Émeline Bolmont et al., Astronomy & Astrophysics (2020)
Revised mass-radius relationships for water-rich rocky planets more irradiated than the runaway greenhouse limit, Martin Turbet et al., Astronomy & Astrophysics (2020)