Comment peser une (exo)planète
Dans un précédent billet, j’expliquais comment nous étions parvenus à déterminer la masse des planètes du système TRAPPIST-1 en chronométrant leurs passages devant leur étoile et en quantifiant les perturbations orbitales que les planètes se font subir mutuellement. Si la précision atteinte est inédite pour un système extrasolaire, la méthode utilisée avait permis il y a deux siècles de peser Mercure et Vénus et les lunes principales de Jupiter.
Depuis Kepler et sa troisième loi, déterminer la masse d’une planète est aisé si celle-ci possède un satellite dont on peut mesurer période (P) et distance (a) orbitales. En effet, la masse totale de la planète et de sa lune (M + m) est simplement donnée par la relation suivante où G est la constante de la gravitation :
La masse de sa lune étant généralement négligeable par rapport à celle de la planète (celle de notre Lune vaut 1% de celle de la Terre) la somme des masses est une bonne approximation de la masse de la planète. Si l’on prend pour P la période orbitale de la Lune (27.3 jours) et pour a la distance moyenne Terre-Lune (384400 km), dans des unités cohérentes avec G, la formule donne 6x10²⁴ kg pour la masse du couple Terre-Lune, ce qui ne surestime que de 1% la masse de la seule Terre.
Mais dans le système solaire, deux planètes n’ont pas de lunes : Mercure et Vénus. Il est d’ailleurs fascinant de noter que ce sont les deux seules planètes du système solaire qui ne peuvent pas garder une Lune en raison des forces de marées auxquelles elles sont sujettes. On peut, pour peser ces planètes, envoyer des sondes et aller à proximité pour ressentir leur champ de gravité, voire les placer en orbite et appliquer la loi ci-dessus. Mais avant les sondes, pouvions-nous estimer les masses de Vénus et Mercure ?
Oui, car la gravité d’une planète influence l’orbite de ses planètes voisines. Si Vénus était la seule planète autour du Soleil, elle aurait une orbite parfaitement elliptique et suivant strictement le mouvement prédit par la seconde loi de Kepler (la loi des aires). Mais l’orbite de Mercure est perturbée, (principalement ) par celle de Vénus dont l’orbite est elle-même affectée par la présence de ses voisines la Terre et Mercure. Ces perturbations dépendent de la masse des planètes impliquées. En mesurant précisément ces perturbations, c’est-à-dire les écarts par rapport à une orbite Képlerienne parfaite, on peut contraindre ces masses. Les premières estimations furent faites dès la fin du 18e siècle par Laplace et Lagrange et ces travaux vont se raffiner au 19e siècle avec notamment la contribution notable d’Urbain Le Verrier qui appliquera cette méthode non seulement pour contraindre les masses des planètes mais mettra en évidence l’existence et la position d’un perturbateur inconnu jusque là, Neptune, qui produit des irrégularités sur l’orbite d’Uranus. Le Verrier contribuera également à peser Mercure, Vénus et Mars (dont les Lunes n’ont été découvertes qu’en 1877). Les perturbations de l’orbite de Mercure, précisément mesurées dès cette époque grâce aux transits de la planète, permettent à Le Verrier d’estimer la masse de Vénus à 1/390 000 de celle du Soleil, ne la surestimant que de 5%. Pour Mercure, l’exercice est plus délicat car sa masse est plus faible et ce sont les perturbations de l’orbite de Vénus qu’il faut analyser. Or, les transits de Vénus, qui donnent la contrainte la plus fine sur le mouvement orbital, sont très rares (2 transits séparés de 8 ans tous les 120 ans). Le Verrier trouve néanmoins une estimation acceptable de la masse, environ 5 millions de fois plus faible que celle du Soleil (au lieu de 6 millions).
Le Verrier note aussi un comportement curieux de l’orbite de Mercure dont l’axe tourne de 38 secondes d’arc par siècle, mouvement qui semble se superposer aux autres perturbations. Avec les connaissances de l’époque, seule une planète orbitant entre Mercure et le Soleil pouvait expliquer ce comportement et Le Verrier va traquer cette planète qu’il nomme Vulcain comme il a traqué Neptune. En vain cette fois car cette avance du périhélie de Mercure est un effet de Relativité Générale qui ne sera expliqué par Einstein qu’en 1915.
Notons qu’en 1805, Laplace utilise les perturbations mutuelles des satellites de Jupiter (Io, Europe, Ganymède et Callisto) pour déterminer leur masse. Les périodes de ces lunes n’étant que de quelques jours, il dispose de très nombreuses observations d’éclipses et donc d’éphémérides précises. S’il se trompe largement sur la masse de Io, il trouve celle d’Europe et de Ganymède à 10–15% près et celle de Callisto à 25% près.
Le système planétaire de TRAPPIST-1, qui comporte au moins 7 planètes, présente de nombreuses similitudes avec le système des 4 lunes principales de Jupiter. Si TRAPPIST-1 pèse environ 100 fois plus que Jupiter, leur rayon est quasiment le même. Les périodes orbitales sont similaires ainsi que le rapport de masse entre les planète (resp. les lunes) et l’étoile (resp. Jupiter). Dans les deux systèmes, les orbites sont imbriquées dans des chaînes de résonances très stables : quand Ganymède fait un tour autour de Jupiter, Europe en fait 2 et Io 4. Quand la planète h de TRAPPIST-1 fait 2 révolutions, la planète g en fait 3, la f en fait 4, la e 6, etc… Ces systèmes ont été capturés, verrouillés durant leur formation dans ces configurations orbitales très stables. Si elles évitent les alignements de 3 planètes voisines d’un même côté de l’étoile, ces résonances amplifient considérablement les perturbations gravitationnelles entre deux planètes voisines, et en rendent la mesure plus aisée.
En appliquant les mêmes principes que Laplace en 1805, mais en remplaçant un calcul analytique incroyablement laborieux par une approche numérique utilisant d’importantes ressources informatiques, nous sommes aujourd’hui capables de peser les planètes du système TRAPPIST-1, qui en comporte au moins 7. Il serait d’ailleurs intéressant que quelqu’un se lance pour TRAPPIST-1 dans le calcul analytique avec papier et crayon ! Comme Laplace qui se basait sur les transits et éclipses des lunes de Jupiter ou Le Verrier sur les transits de Mercure et Vénus, pour en compiler les avances et les retards par rapport à une orbite parfaitement Képlerienne, nous chronométrons les transits des planètes de TRAPPIST-1. Nous atteignons des précisions de quelques % sur leur masse.
Nous sommes également capables de rechercher d’éventuelles planètes additionnelles qui pourraient ne pas produire de transits mais nous n’en voyons pour l’instant pas la signature dans les données. Pour ne pas être piégés comme Le Verrier par des effets de Relativité Générale qui feraient précesser les orbites nous les incluons dans chacune des solutions trouvées.
Nous déterminons aujourd’hui les masses de planètes à 40 années-lumière avec la précision que les astronomes atteignaient au milieu du 20e siècle pour Mercure et Vénus. Et cette mesure va s’affiner encore car nous continuons d’observer lest transits et nous le ferons prochainement avec une précision accrue avec le télescope spatial James Webb.
Franck Selsis, Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux
Annexe
Vitesses radiales : La principale méthode pour déterminer la masse des exoplanètes n’est pas celle décrite plus haut mais la méthode dite des vitesses radiales qui est aussi la première technique à avoir permis la détection d’une exoplanète. Elle consiste, en mesurant la vitesse d’une étoile par effet Doppler grâce à de la spectroscopie à haute résolution, à identifier des variations périodiques de cette vitesse dues à une ou plusieurs planètes. En effet, si une planète orbite autour de son étoile, l’étoile effectue également un mouvement orbital autour du centre de masse de l’étoile et de sa planète. Possédant une estimation de la masse de l’étoile et mesurant la période de ce mouvement orbital, nous pouvons déterminer la masse de la planète qui en est responsable. Ou plus exactement, c’est sa masse minimale qui peut être estimée car nous ne connaissons pas, par cette seule technique, l’orientation du système observé et nous n’observons que la projection du mouvement orbital sur la ligne de visée. Si, par ailleurs, la planète en question transite devant le disque de son étoile à chaque révolution, la géométrie du système est alors connue et la masse réelle, et non plus minimale, peut-être déterminée. Les variations de vitesse radiale deviennent toutefois trop faibles pour être mesurées si la planète est trop peu massive par rapport à son étoile. Si la première exoplanète détectée, 51 Peg b, produisait des variations de vitesse de plusieurs dizaines de m/s, celles produites par des planètes de taille et température terrestres sont de quelques dizaines de cm/s sur une étoile de masse solaire et de l’ordre du m/s pour une petite étoile comme TRAPPIST 1 ou Proxima du Centaure. Le m/s est néanmoins accessible, difficilement, et c’est ainsi qu’une planète de masse supérieure ou égale à celle de la Terre a été découverte autour de Proxima. De même, les variations de vitesse radiale de TRAPPIST-1 sont traquées. Si elles sont détectées, il ne semble toutefois pas vraisemblable qu’elles permettent une détermination des masses d’une précision qui s’approcherait de celle obtenue par chronométrage des transits.
La masse de Mercure et la comète Encke : La comète Encke a une période de seulement 3,3 ans. Au plus proche du Soleil elle atteinte l’orbite de Mercure ce qui en fait l’une des comète périodique qui s’approchent le plus du Soleil. Son caractère périodique fut établi en 1819 par Johann Encke. Cet astronome Allemand fit la première estimation de la masse de Mercure (à 30% près de la valeur que nous connaissons aujourd’hui) grâce à la perturbation de sa trajectoire par Mercure lors d’une rencontre proche des deux astres en 1835.